la bourse ou la vie, encore et toujours...
Cette question me trotte implicitement dans la tête depuis mon retour. Difficile d'y répondre sans hésitation.
Pour la première fois depuis longtemps, j'ai passé d'excellentes vacances. Pour la première fois depuis dix mois - je devrais dire huit ans - je me suis sentie bien. Bien entendu, j'ai connu quelques rechutes, crises d'angoisse, crises de larmes et autres moments de déprime. Cependant, ces cinq semaines loin de ma routine m'ont permis de me retrouver, un peu, et de sourire à de nombreuses reprises. Je ne me suis pas sentie contrainte, étouffée, ni gênée ; je n'ai pas éprouvé de honte lorsqu'est venu le moment de participer à la grande réunion estivale des baigneurs. Dans le regard de l'autre, j'ai presque oublié ces complexes, ces dénigrements qui m'empoisonnent depuis si longtemps. Dans mon propre regard, je savais que ce passé était là, mais j'étais heureuse de pouvoir réduire son cortège de souvenirs au silence. Pour une fois, je n'étais presque pas gênée d'avoir un corps, un corps formé de femme.
Je n'ai presque pas culpabilisé de manger normalement ou de me faire plaisir à l'occasion. Oui, toujours cet adverbe qui nuance. "Presque", parce que je ne suis pas encore complètement libre des préjugés que je nourris à mon égard. Je me suis encore moins sentie coupable de ne pas préparer tous les cours prévus... à quelques jours de la rentrée, je ne m'en veux toujours pas. Sans doute parce que mon métier me paraît à présent complètement irréel : pourtant je sais que, comme le jour où j'ai dû quitter ces lieux où je me sentais si bien, je vais devoir quitter mon confort et ma solitude pour ouvrir la porte d'une salle de classe.
J'ai peur de reprendre, je l'ai déjà dit. C'est pour cette raison que choisir immédiatement entre la bourse et la vie ne serait peut-être pas très honnête. Depuis que je suis rentrée, je n'ai qu'une envie : repartir. Tout plaquer (ou presque) et recommencer un peu plus loin, là-bas. C'est évident, j'y étais si bien. Pourtant, je sais pertinemment que ce ne serait qu'une fuite, un aveuglement volontaire, une sorte de mensonge. Ce ne serait qu'une façon de plus de refuser de faire face à ma situation. Ce serait une fuite en avant : je quitterais l'enseignement pour autre chose ; mais je n'aurais pas la preuve que je n'étais pas faite pour ça. Et, me connaissant, je serais bien capable dans quelques années de me reprocher ce choix : encore une fois, j'en viendrais à me traiter intérieurement de lâche et de nullité (en réalité, je suis plus vulgaire), et je risquerais de remettre le doigt dans un engrenage fait d'auto-dépréciation, de culpabilité et de sentiment d'échec. "Je quitterais l'enseignement pour autre chose" : oui, mais quoi ? Je ne le sais toujours pas, sans doute en partie parce que je ne peux pas encore estimer que j'en ai fini d'enseigner. Les mois à venir m'apporteront, j'espère, un embryon de réponse et feront pencher la balance d'un côté ou de l'autre. Mais il faut bien admettre que, sur bien des plans encore, il règne le plus grand trouble dans mon esprit.