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Through the Looking-Glass
5 juin 2007

Notre Pépé est mort...

Grâce à toi, pépé, nous savons tous planter un clou.

Nous ne savons pas forcément tous faire quelque chose de ce clou planté dans une planche mais nous avons tous passé des heures à taper sur ton établi avec entrain et conviction ou encore à serrer nos morceaux de bois dans ton étau avec ardeur. Les plus grands d'entre nous ont appris à aiguiser une faux, mais, chut, c'est un secret entre toi et tes petits-enfants.

Il y avait aussi cette brouette miniature, faite maison, qui imitait parfaitement la tienne : nos 11 paires de mains en ont peu à peu poli les extrémités ; ses poignées en étaient devenues douces comme de la soie. Comme on était fier de t'accompagner sur le chemin qui mène à la pâture ! De se frayer une piste entre les cailloux pour enfin charger quelques artichauts. Quel plaisir aussi c'était de monter dans ta brouette et de te laisser nous balader d'un bout à l'autre du jardin. Il y avait ces balançoires, que tu avais suspendues aux 4 coins du jardin. Chaque branche d'arbre était consciencieusement protégée de la corde par un morceau de caoutchouc.

De ton jardin tu avais fait notre royaume.

Nous savons le bon goût de la noisette, celle dont on casse la coque avec un maillet spécialement fabriqué pour nos petites pognes de gamins. Il y avait aussi le goût des épis de maïs que tu nous avais appris à manger dans les champs. N'oublions pas non plus la saveur de l'oeuf à la coque du matin que nous voulions tous manger au petit déjeuner, "pour faire comme Pépé", ni de la soupe du soir que les plus récalcitrants d'entre nous ont un jour adoptée grâce à toi.

Chaque matin était une fête avec toi. Les plus vieux d’entre nous ont connu la joie d’aller chercher les œufs dans le poulailler en ta compagnie. Certains se souviennent aussi de ta tortue et de tes lapins, auxquels ils ont donné à manger en cachette car tu redoutais qu’ils leur fassent grignoter n’importe quoi.

Le lever, qui suivait ces nuits au cours desquelles on pouvait s’émerveiller de tes ronflements, était le moment d’autres rituels : le salut à la famille en disant « Ave ! » ; le coup de peigne dans tes cheveux noirs ; la préparation du rasage, avec ton blaireau et tes boîtes à savon rouges. Lorsque ces dernières étaient vides, tu nous laissais en faire nos jouets. Tu t’es toujours montré soigné, voire tiré à quatre épingles. En vacances au bord de la Méditerranée, par des chaleurs estivales, jamais tu n’as su troquer le pantalon contre un bermuda. Justement, à Portiragnes, tu as soi-disant chassé les moustiques toute une nuit et empêché Popomme de dormir. Par la suite, ton fils te réserva un gobelet : il dessina dessus un petit tonneau qui désignait le niveau de Ricard à ne pas dépasser. Là-bas, tu aimais t’asseoir sur la plage pour regarder les véliplanchistes tomber à l’eau. Ces scènes t’amusaient.

Nous avons tous été marqués par tes mains, ces mains robustes de l’ouvrier et de l’éternel bricoleur que tu as été. E***** les a immortalisées, tant elles te représentent : on les voit tenir cet opinel qu’il ne fallait surtout pas laver, car il risquait de rouiller. Elles étaient fortes, résistantes, un peu sèches. Elles nous étreignaient aux épaules avec fermeté lorsque venait le moment de se dire au revoir. C’était ta façon bien à toi de nous embrasser et de nous communiquer ton amour.

Qu’elles nous semblaient larges ces mains ! Alors que nous disposions nos dominos en sages remparts, ta seule main droite tenait la quasi-totalité de tes pièces. Assis dans ton large fauteuil – le fauteuil de Pépé – tu as appris ce jeu à onze gamins à peine en âge de compter. Nous avons tous manipulé à l’envi ces rectangles noirs et blancs presque aussi vieux que toi.

Avec toi, la balade en vélo était un sommet : un petit sac sur le porte-bagages, au cas où, pour une plume de pie ou une ficelle oubliée. La cavée de Liomer, on avait beau la monter à pied, pour nous c'était le mont Ventoux. La côte de Beaucamps qui nous menait chez Tante Yvette et « notre onc’ Léon » n’était pas toujours facile à grimper non plus, mais que nous aimions t’y suivre ! A certains d’entre nous, tu as parfois lancé en souriant : « Vas-y Poupou ! »

Le chant du merle, celui du rossignol? C'est dans tes yeux qu'on apprenait à les distinguer, tellement tu souriais devant le spectacle de la nature. Tu nous as appris à toujours laisser de côté un bout de gras pour les mésanges, que nous regardions ensuite venir picorer dans la mangeoire que tu leur avais fabriqué de te mains.

Les repas ont été l’occasion d’apprentissages fondamentaux. Qui parmi nous n’a pas appris à manger des spaghettis ? Toi, si correct, tu mettais l’une de ces longues pâtes dans ta bouche, puis tu l’aspirais en pliant tes oreilles, comme si tu l’avais enroulée dans ta tête. Nous riions aux éclats en te regardant faire et nous t’avons imité. Aujourd’hui, nous y repensons avec tendresse, parce que cette générosité clownesque, c’était tout toi.

Tu émaillais tes propos de jeux de mots qui étaient autant de raisons de rire de bon cœur : la mère Théo, l’as ticot, le « si c’est assez c’est une baleine », les camées Léon de Popomme. Invariablement, lorsque nous te demandions ton âge, tu en inversais les chiffres : l’année de tes 88 ans, tu t’es trouvé un peu embêté !

De toutes les voix, c'était la tienne qu'on préférait : et quand à la fin du repas, tu nous racontais les malheurs du roi Dagobert ou les petits petons de Valentine, on riait et c'était bon. Quand par chance tu te mettais à chanter à la fin du repas alors le silence s'installait et tout le monde retenait son souffle en espérant que tu ne t'arrêtes pas. Tes prestations se finissaient alors systématiquement par une salve d'applaudissements.

Merci Pépé : grâce à toi et à tes chansons, il y aura toujours une pie qui chante dans le poirier.

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Commentaires
D
Bon courage.<br /> Bisous
A
oui, j'aurais aussi aimé écrire un autre billet le jour de mon anniversaire. Mais on ne choisit pas ce genre de choses. Le texte est le fruit d'une collaboration entre ma soeur, l'un de mes cousins et moi-même. Nous comptons le lire à pluisieurs tout à l'heure.
A
Ton texte est très émouvant. Bon courage pour cette journée ma jolie. Je t'embrasse bien fort.
P
Je m'attendais à un autre post pour le jour de ton anniversaire... :/<br /> <br /> J'espère que tu lui liras ce texte car il va en être fière! Et puis les gens qui l'ont connu -surtout les petits-enfants - seront émus de l'entendre.<br /> <br /> Je suis là si tu as besoin (plus au téléphone que sur msn...)<br /> <br /> Bisouxxx
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