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Through the Looking-Glass
23 mars 2007

"Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself."

HoursJe n'aime pas trop écrire de critiques. C'est un exercice difficile, dans lequel je redoute toujours de trahir les ouvrages, films, morceaux, auxquels je suis attachée. Je crains que mes mots ne suffisent pas à en exprimer la profondeur, la complexité ou la poésie. Traduire la beauté, faire affleurer la "substantifique moelle" dont parlait Rabelais, exige une rigueur de pensée et d'écriture dont je crains toujours de manquer. Longtemps je rumine des émotions que j'ai peur de dénaturer. Puis un jour, parce que je veux dire, partager, être comprise, incomprise, susciter la curiosité, je me lance. Les phrases viennent peu à peu, les doigts courent sur le clavier, s'arrêtent quelques instants, marquant les pauses de la réflexion, effacent, récrivent, se posent sur mes tempes ou mon front quand l'expression m'échappe, que la sensation se fait plus obscure. Puis ils repartent, à l'aventure, au fil de la pensée.

Le film The Hours de Stephen Daldry, adapté du roman de M. Cunningham, s'ouvre sur l'écriture d'une lettre d'adieu par Virginia Woolf à son époux ,Leonard. "Dearest, I feel certain that I'm going mad again : I feel we can't go through another of these terrible times. And I shan't recover this time. ...Everything has gone from me but the certainty of your goodness. I can't go on spoiling your life any longer. I don't think two people could have been happier than we have been. V."
Puis l'auteure, dans un ultime accès de lucidité, met fin à ses jours. C'est la réalité, telle qu'elle survint, romancée par l'oeuvre. C'est Virginia Woolf qui remplit les poches de son pardessus de pierres avant d'être à nouveau  précipitée dans la folie. Dès cette scène, nous connaissons l'issue du récit qui nous est proposé. Mais nous n'en découvrons pas pour autant le déroulement. Si, d'entrée de jeu, il est placé sous le signe du suicide et de la mort, il est également frappé du sceau du cycle.
Les évènements se répètent avec variation, l'oeuvre que Virginia écrit sous nous yeux traverse les époques et les marque de son empreinte. L'écrivain trouve la première phrase de son roman, "Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself."; quelques décennies plus tard, dans les années cinquante, Laura Brown, jeune mère de famille pour la seconde fois enceinte, murmure cette même phrase avec admiration ; près de cinquante ans plus tard, Clarissa Vaughn, surnommée Mrs Dalloway, annonce à sa compagne Sally (encore un prénom et un personnage tirés du roman Mrs Dalloway) : "I Think I'll buy the flowers myself." Oui, elle se procurera elle-même les fleurs qui orneront le salon lors de la réception donnée en l'honneur de son ami Richard, le poète torturé et malade. Malade de cette même maladie qui tua Virginia Woolf, malade d'un délire schizophrène qui lui fait entendre des voix : "Are they still here ? - No, they are gone."
Clarissa, Richard, Sally, noms et personnages de la fiction romanesque originale se déplacent et se retrouvent dans cette fiction cinématographique qui nous donne l'illusion de la réalité. Jusqu'au jour où tous se rejoignent, à travers une simple photographie, un souvenir de mariage, un nouveau roman, de Richard cette fois. On s'aperçoit alors que des signes nous avaient échappé, un motif sur une robe de chambre, des fleurs dans un vase, la préparation d'un repas. Ils s'accumulent à d'autres indices, tout aussi programmatiques, auxquels on n'avait pas prêté attention : l'onomastique joue de la référence au roman Mrs Dalloway, ce que le film ne dit pas et que l'on découvre par curiosité. La progression du film s'appuie également sur cette référence, explicite pour sa part : un jour de promenade à Richmond, Virginia décide de l'avenir de ses personnages. L'un d'eux devra mourir : mais lequel ? Cette décision traverse les époques et atteindra les années 2000, celle dans lesquelles évoluent Clarissa, Sally, Richard, Laura.
Clin d'oeil et autre indice d'intertextualité la présence de la comédienne Eileen Atkins, spécialiste de Virginia Woolf, dans le rôle de la fleuriste à laquelle Clarissa, "always giving parties to cover the silence", achète de superbes bouquets.

Et le cycle bientôt se referme, sur une citation : "I don't think two people could have been happier than we have been". Alors les personnages qui s'étaient séparés se rencontrent, les fils se nouent, Clarissa/Mrs Dalloway cesse de couvrir ce silence angoissant et conclut, avec Virginia : "to look life in the face, and to know it, and to love it, for what it is, and then, to put it away."

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Commentaires
A
eeeuuuuhhhh, on va attendre que ton traitement fasse effet alors,je tiens pas à ce que tu déprimes plus ! Mais je te le montrerai avec plaisir !
P
La prochaine fois que je viens je le regarde ^^
A
c'est un film qui ne laisse pas indifférent.on l'aime ou on le hait. certains le trouvent malsains, d'autres poétiques et profond. C'est certainement le film qui m'a le plus marquée, et celui qui me fait le plus réfléchir, parce que, contrairement à ce que d'aucuns pensent, il se clôt sur une note d'espoir, et non pas tt simplement sur la mort.
P
Superbement écrit. <br /> La vidéo me fait un peu peur. Ce film a l'air prenant. Ton post me donne envie de le voir mais j'ai peur d'y rester accrocher ^^<br /> <br /> Bisouxxx ;-***
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