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Through the Looking-Glass
3 mars 2007

Back from New Orleans

voici de retour de New Orleans, "Big Easy" pour ses habitants. Je ne vais pas vous faire un récit chronologique. Je souhaite évoquer d'abord un moment qui me tient à coeur, et qui constitue l'une des dernières visions que j'ai pu avoir de la ville. Mes photographies n'étant pas encore développées (oui, je préfère l'argentique), je vous renvoie dans l'immédiat aux clichés pris par Ju lost in translation lors de son propre retour à NOLA, quand la ville fut rouverte à ses habitants. Je vous conseille de visionner le panorama qu'elle propose avant de lire mon message.

1er mars 2007 : Lower ninth ward

J'avais vu les photographies prises par Frenchy après Katrina : un spectacle de maisons dévastées, vitres éclatées, portes arrachées, façades éventrées. La vague qui avait fait céder la levee avait tout emporté ou détruit sur son passage. Lorsque l'on voit la proximité des maisons, situées en contrebas de cette levee et du lac, on saisit mieux l'ampleur de la catastrophe qu'a été "the hurricane". Le lac surplombe littéralement les habitations, qui ne sont éloignées que de quelques mètres. De ce fait, les levees paraissent des protections ridiculement petites et fragiles. En ces lieux désolés, on imagine très partiellement ce qui a pu se passer ce 29 août 2005.  Le vent incroyable, assourdissant, qui fait craquer les planches de bois et les toitures, qui incline les arbres. Peut-être y a-t-il cette lumière étrange, violette, , et ces éclairs que Frenchy a évoqué en racontant la tornade de la mi-février 2007.
Le vacarme du vent ; l'eau qui se brise sur les levees. Le sol sur lequel elle s'élevent qui absorbe l'eau, encore et encore ; il devient boueux, il se fait meuble. Alors les constructions réputées solides et qu'on n'a pas pris la peine de renforcer, censées résister aux crues du lac, cèdent : elles se fissurent, sous la pression de l'eau, puis s'ouvrent, laissant une vague funeste submerger
une large partie de la ville.
Le lower ninth est recouvert d'eau : maisons, arbres et lignes électriques sont immergés. Il est difficile de se figurer, en circulant aujourd'hui dans les allées défoncées du quartier,
le niveau qu'atteignit l'eau ce jour-là , ne laissant flotter que le toit des habitations... tandis que tous les habitants de ce quartier n'avaient pas été évacués : certains n'avaient pas pu partir, d'autres n'avaient pas voulu, leur seul bien étant ces maisons difficilement acquises et aujourd'hui disparues. Des gens trop pauvres pour partir, ou trop vieux, qui ne voulurent pas connaître la promiscuité d'un superdôme surpeuplé. Frenchy elle-même se rendit au "big mac" : voyant le monde qui s'y pressait, elle préféra faire demi-tour et se terrer dans sa chambre uptown. Heureusement pour elle, un ami inquiet vint vérfier qu'elle était bien partie et, constatant que ce n'était pas le cas, la fit sortir de la ville.
Les habitants du lower ninth n'avaient pas tous quelqu'un qui pouvait les emmener hors de la ville, ni des proches ou des amis pour les accueillir hors de celle-ci. Pour beaucup, NOLA était toute leur vie, y compris sociale. Faute de moyen et de lieu où aller, il leur était donc difficile d'évacuer.

lower_ninth_compress_eJ'avais une connaissance théorique de ces faits. La vision de ce quartier un an et demi après la catastrophe donne une cohérence ainsi qu'une teinte émotionnelle à ce savoir. J'avais vu les photographies de Frenchy : le quartier n'était qu'un champ de ruines. Voitures renversées sur le bord des allées ou sur le toit des maisons, habitations éventrées que la force de la vague avait parfois déplacées sur plusieurs mètres. Un shotgun s'était ainsi échoué au milieu de la route. Meubles et objets personnels laissés ici et là, loin de leurs lieux d'origine. Un quartier fantôme, des résidences vides de toute vie.

Et aujourd'hui ?
La ville a décidé de raser les ruines du lower ninth. Quelques habitations demeurent, détruites, portes et structures des fenêtres battant au vent, bout de tissu, de vêtements pendant en divers endroits, accrochés aux poutres, aux barrières, aux toits, signes qu'il y a un peu plus d'un an ces lieux étaient encore imergés. Des images du dénuement, de la mort. La destruction planifiée aidant, elles deviennent des images de l'oubli qui s'installe. Seuls les bénévoles ayant participé au premier nettoyage du quartier, les proches des victimes et les rescapés semblent vraiment se souvenir de ces lieux et de ce qu'ils représentent. Pour le reste du monde, "Katrina ? Katrina who ?"
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Le french quarter affiche des tableaux et t.shirts fusigeant la FEMA et le gouvernement, mais nul ne parle vraiment du lower ninth. Aujourd'hui, la municipalité "fait le ménage". Le panorama affreux des maisons renversées laisse progressivement la place à un champ vert parsemé ça et là d'habitations dévastées. En entrant dans ces lieux, nous avons éteint l'autoradio et ses airs de jazz. Nous traversons, atterrées : moi, par ce que je suis en train de comprendre ; Frenchy, par ce qu'elle découvre. Ce vide nouveau la désole, elle qui a fait partie des bénévoles au lendemain de l'ouragan. Nous tournons à droite : cul-de-sac. La rue empruntée se termine par un talus sur lequel on peut voir trois grandes plaques de béton. Elles marquent l'emplacement de trois habitations qui n'existent plus. Il y a deux ans lieux de vie, elles font auourd'hui figure de pierres tombales. "Ces lieux sont sans doute parmi les plus tristes que j'aie jamais vus." Ce quartier n'est que vide, désolation, privation. Pas d'hommes, à quelques très rares exceptions, pas d'habitat salubre, pas d'eau courante ni d'électricité, pas de voiture, pas de bruits. Alors que dans toutes autre partie de la ville on peut entendre le roulement des véhicules, la sirène d'une ambulance, le sifflement d'un train, les cris et les jeux des enfants, ici, on n'entend rien. Aucune rumeur directement ou indirectement humaine n'est perceptible. Le silence qui règne est celui de  l'absence. La sérénté est impossible : seule la tristesse affleure. Le recueillement s'impose.
Peut-être est-ce pour cette raison que la destruction des habitations est regrettable : comment se souvenir des erreurs monumentales qui ont été commises si l'on efface toute trace du passage de Katrina ? Qui saura se souvenir alors que déjà seuls ceux qui l'ont vécu ont encore cette catastrophe en mémoire ? Pourquoi nier l'existence de ces erreurs et l'histoire de cette destruction ?

Sur Katrina, voir cet article

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Commentaires
A
merci dedalia. Oui, on a besoin du corps et de la vision pour comprendre nos émotions, positives ou négatives. La distance était trop grande jusque là : j'ai compris l'empleur humaine de cette catastrophe en voyant ces lieux abandonnés. C'est frappant.
D
oups, désolée pour ledoublon: enfin, double voire triple bon retour en France! :-)
D
C'est peut-être ce que certains appellent l'expérience vraie. Ton texte nous fait nous souvenir que l'esprit humain est bien impuissant à ressentir uniquement par l'imagination ou la représentation distanciée; comme si le corps, encore une fois s'imposait à nous pour finalement comprendre.<br /> Déjà les ruines de Chateaubriand, mais elles étaient, elles, beaucoup plus métaphoriques...<br /> <br /> Bon retour en France.
D
C'est peut-être ce que certains appellent l'expérience vraie. Ton texte nous fait nous souvenir que l'esprit humain est bien impuissant à ressentir uniquement par l'imagination ou la représentation distanciée; comme si le corps, encore une fois s'imposait à nous pour finalement comprendre.<br /> Déjà les ruines de Chateaubriand, mais elles étaient, elles, beaucoup plus métaphoriques...<br /> <br /> Bon retour en France.
P
Jattends les photos moi!!!<br /> <br /> Fabuleusement écrit. <br /> Je ne sais pas si ça se dit mais ton texte est empathique (mais quest-ce quelle a voulu dire par là? lol)
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