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Through the Looking-Glass
10 mai 2007

Sur quelques vers du "Cimetière marin" (Paul Valéry)

diamant_2Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant! . . .
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.

(pour lire l'intégralité de ce très beau poème, allez )

Hier soir, une longue conversation avec le Chevalier blanc sur la question de la vie. J'avoue, sans honte, ne pas aimer la vie. C'est vrai. J'ai beau avoir de la chance, avoir comme on dit la vie facile, ne pas connaitre de difficultés particulières, je n'aime pas la vie. Du moins, pas la mienne. Le point de vue du Chevalier ne s'approche en rien d'une idée selon laquelle la vie est un cadeau, ou une volonté divine, ou qu'il faudrait que je remercie mes parents de m'avoir mise au monde. Je remercie mes parents, non de m'avoir mise au monde, mais de m'avoir éduquée comme ils l'ont fait.  Cependant, contrairement à lui, je ne crois pas que nous soyons sur terre pour quelque chose, pas même (hélas) pour essayer d'être heureux. Je ne vois dans l'existence qu'une pure gratuité, qui n'attend d'autre réponse que le fait d'exister lui-même.  Cela n'empêche nullement de se montrer généreux, attentif à l'autre. Puisque je suis là, même sans l'avoir demandé, autant faire avec du mieux que je peux, autant pour moi que pour les autres.  Pour le moment, pour moi, il y a eu beaucoup de réussites, et un gros ratage... et encore, ma dépression ne serait un ratage que si je ne m'en sortais pas.  Je relis et je pense nécessaire d'ajouter que je n'ai pas non plus envie de vivre la vie des autres.  La mienne me suffit bien.

Les vers cités au-dessus donnent quelques indications sur ma perception de l'existence en tant qu'elle peut être assimilée à la notion de vie. "Tu [l'Être] n'as que moi pour contenir tes craintes! / Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes / Sont le défaut de ton grand diamant! . . . " Comme le dit un jour un professeur que j'ai craint par-dessus tout, en plagiant ces vers : "L'existence est un défaut dans le grand diamant de l'Être".  L'Être se comprend comme l'Infini, la Perfection, la Plénitude. Un croyant dirait peut-être, avec une connotation anthropomorphique, qu'il s'agit de Dieu.
Venir à l'existence, c'est créer un défaut, une faille dans ce diamant parfait. Paradoxalement, mon être, c'est de connaître le manque. C'est la condition de tout être humain : faire l'expérience d'une privation "primordiale" et insoluble. Être perpétuellement en quête d'une objet susceptible de combler ce manque et s'apercevoir à chaque fois que cette quête est à recommencer. L'existence est un manque d'Être, un vide dans la Plénitude, vide absurde sans cesse en mouvement, en tension vers un quelque chose que de toute façon il n'obtiendra ou ne connaitra pas. "Waiting for Godot", voilà bien le fond de l'existence. Et à quoi bon, au lieu de l'attendre, le chercher, puisque de toute façon Godot est hors d'accès. L'évènement transcendant qui pourrait donner du sens à l'existence absurde ne viendra jamais.
Cependant, Vladimir et Estragon ne sont que des personnages, des" êtres de papier". De ce fait, ils peuvent se "permettre" d'attendre et de ne rien faire d'autre. Mais je suis dans le réel, j'existe vraiment, je vis, et je ne peux me contenter de l'attente. Le sens ne viendra pas, alors c'est à moi de le construire, de l'édifier, pierre après pierre. Le précédent édifice, trop fragile, n'a pas résisté. Il faut recommencer.  Je cherche, je tâtonne, j'avance, je recule, je refais un pas hésitant ou déterminé. Mais je n'ai pas trouvé ce qui ferait que cette existence m'apparatrait autrement que comme manquant de sens, ce qui ferait qu'elle serait plus appréciable à mes yeux.

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Commentaires
D
Etre jeté dans le monde, balant, la question du sens paraît inévitable, cependant, je suis sûre que beaucoup ne se la pose pas. Pourtant, cette question me semble essentielle, peu importe la réponse. Cest un peu comme ce que l'on dit parfois: préférer avoir connu l'amour quitte à en avoir souffert, préférer voir se fendre la surface des choses plutôt que de rester sur le lisse.
B
salut,ah si au moins je pouvais t'offrir un beau bouquet de fleurs tout en ésperant qu'il te fera un peu oublier tout ces questions trop pesantes.<br /> Bzzzzzzzzzzzzzzzz.<br /> (Moi aussi comme toi,j'ai appris a m'endormir au milieu des bisoux commeun...... ....... .bébé je préfére.<br /> a plus
A
- " Anne, ma soeur Anne, ne vois-tu rien venir ? " <br /> - "Je ne vois que l'existence et sa pure gratuité."<br /> je suis tout à fait d'accord avec toi ma belle. La vie n'a pas de sens. Faut-il lui en trouver/donner un ? Pour ma part j'arrive à vivre sans répondre à cette question. Je t'embrasse.
P
Ce que tu décrivais me ramenait à la souffrance en fait comme tu l'as justement dit.<br /> C'est drôle parce que je me souviens que déjà aux toutes premières séances de psy tu me parlais de ça au café une fois. Mais dénué de choses positives par contre.<br /> <br /> Oui, la vie c'est naître, vivre et mourir...vu comme ça la vie est effectivement absurde..<br /> Tiens ça me rappelle un peu le film Big Fish. Même totalement. <br /> Je ne saurais pas trop comment m'exprimer mais en pensant à ce que tu écris, je pense à la morale de ce film et je me sens dans un état second (mais dis moi, tu me fais l'effet d'un bon litre de thé loool).<br /> <br /> Bisouxxx
A
Attention, Phoebs, tu surinterprètes ma pensée (ou alors je me suis mal relue) : je ne pense pas du tout que l'existence ne soit que souffrance, loin de là ! Je crois qu'elle est privation, perpétuelle expérience du manque et de l'incomplétude (ce qui génère une souffrance, certes, mais uniquement "ontologique", c'est à dire finelement, questionnant l'Être), mais ce n'est pas pour autant que je verserai dans la thématique de la "Vallée de Larmes". <br /> Pour moi, l'existence n'est pas simplement hasardeuse, elle est surtout absurde, dénuée de sens, et nous passons une grande partie de notre temps à essayer de lui construire un sens qui ne lui préexiste pas. Me réconcilier avec ma propre existence, ce serait peut-être accepter cette contingence et cette absurdité, non pas pour m'isoler en ermite, mais pour aller de l'avant délivrée de questions existentielles plus ou moins perturbantes.
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